Quand mon médecin m’a dit que je devais accélérer mes traitements de fertilité si je désirais avoir d’autres enfants plus tard, j’ai été submergée par l’émotion. J’avais 33 ans et soudain, l’option d’avoir d’autres enfants – la spontanéité, la joie dans tout cela – ne m’appartenait plus. Je ne voulais pas le dire à mon conjoint, qui lui n’avait pas encore d’enfant. J’avais l’impression de lui dérober une expérience qu’il aurait pu avoir naturellement avec quelqu’un d’autre, quelqu’un qui n’avait pas un cancer du sein. Je me suis sentie défectueuse, comme si quelque chose n’allait pas chez moi.
En fin de compte, je l’ai annoncé à mon conjoint, et il m’a donné un très bon soutien. Il m’a aussi accompagnée à mes traitements. Mais ce fut difficile pour moi de m’ouvrir au sujet du diagnostic. Dans la culture caribéenne, surtout chez la génération plus âgée, les gens ont tendance à être très privés concernant leur santé. Quand j’ai su que j’avais un cancer, il n’était pas question pour moi de partager la nouvelle – même pas avec mon conjoint, ma famille et mes amis. Mais à mesure que la situation progressait, j’ai bien réalisé que je ne pourrais y arriver seule.
J’avais eu une mastectomie partielle plusieurs années auparavant à cause d’une bosse qui, en fin de compte, s’est avérée bénigne; mais j’avais tenu l’affaire secrète. Je croyais pouvoir en faire autant cette fois-ci : je ferais un peu de chimio, je prendrais du repos, puis je retournerais à ma vie normale et à mon travail d’infirmière, comme si de rien n’était. Je ne voulais pas inquiéter ma mère. « On recommence, me disais-je. Je vais m’en sortir. » Mais cette fois, c’était différent. Je ne réalisais pas à quel point mon traitement allait me briser physiquement. Soudain, je ne pouvais même plus me rendre aux toilettes seule ou me laver moi-même le visage. J’ai parlé à ma famille et ils se sont mobilisés pour m’aider.
Ma sœur a été un vrai cadeau du ciel. Elle s’est installée chez moi et m’a aidée avec toutes les tâches quotidiennes – lessive, épicerie. Surtout, elle s’est beaucoup occupée de ma fille de dix ans. Elle l’emmenait au cinéma, lui faisait les ongles, la conduisait à ses leçons de danse et ses récitals. Elle veillait à ce que sa vie ne soit pas chamboulée.
J’ai eu de la difficulté à détailler et expliquer à ma fille ce qui se passait. À l’école, on parle du cancer aux enfants en racontant l’histoire de Terry Fox, alors naturellement, elle m’a demandé si j’allais mourir. Je n’ai pas pu répondre à ses questions sans fondre en larmes. Et donc la présence de ma sœur a été essentielle, tout comme le fait de trouver pour ma fille un groupe de soutien pour enfants.
Mon traitement – chimio, mastectomie, radiothérapie et thérapie intraveineuse – m’a tout pris sur les plans physique, mental et émotionnel. J’ai eu l’impression que le cancer m’avait complètement dépouillée : je n’avais pas un mot à dire, aucun contrôle, rien du tout.
Puis on m’a fait connaître Belle et bien dans sa peau (BBDSP). Honnêtement, je n’avais pas l’intention d’y aller. Je ne me sentais pas bien du tout et je n’avais pas envie de socialiser. Je m’étais repliée sur moi-même et j’étais isolée. Mais j’ai décidé de mettre ma peur de côté et de participer à l’atelier. Et je suis heureuse de l’avoir fait. L’ambiance était si sympathique quand je suis arrivée – c’était accueillant, invitant, positif et chaleureux. L’expérience a été formidable. Tout le monde parlait, rigolait et s’encourageait. De plus, je ne m’attendais pas à me sentir belle en quittant l’atelier. BBDSP est comme une sororité. On m’a remonté le moral et aidée à me sentir aimée alors que j’étais brisée et vidée.
Aujourd’hui, je m’habitue à une nouvelle normalité. J’ai dû accepter que je ne me sentirai plus jamais comme avant. Mais j’ai aussi réalisé qu’il n’y a rien de mal à compter sur les autres et à trouver de la force dans la sororité.